EN BAS DES JARDINS

Longtemps, ceux qui erraient avaient pris l’habitude de se retrouver à la fin du jour « en bas des jardins ». On se disait que ce faubourg portuaire à l’écart de la grande ville avait gardé quelque chose de la vie d’avant, et que ses petits palais piquetés d’embruns, à présent fermés, faisaient ressurgir, à cette heure d’améthyste, les fantômes de splendeurs révolues. Les ruelles qui déboulaient sur les quais où n’étaient plus amarrées que quelques barques, abritaient encore des arrière-boutiques où l’on se rencontrait pour parler de départs toujours ajournés. Chacun y relatait ses tribulations de nomade extasié, nourri d’aubes, de pluies, de terrasses où dormir, de rencontres ineffables dans des parcs fermés, de déambulations le long des avenues ombragées de là-bas, à l’heure brûlante où la ville étendait partout ses auvents décolorés.

On connaissait bien ce jardin public, étageant ses balustres au-dessus de l’ancien môle ; il marquait alors les confins de la grande cité du côté du sud et cachait de ses frondaisons noires, vu de la place du marché, ce quartier où presque plus personne n’allait, de peur d’être pris à la gorge par les réminiscences d’une époque révolue.

Au drame des exils s’était rajoutée la construction de la nouvelle rade, mais nous étions quelques uns à ne pas vouloir admettre que le monde avait changé.

C’est pourquoi le soir et ses mystères nous rassemblait ici avec nos lambeaux d’espérance et ravivait douloureusement l’illusion que rien ne s’était vraiment passé depuis les journées heureuses.

Pascal Vinardel

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