« Entretien du Figarovox (octobre 2017) »

Pascal Vinardel : « L’art ne peut pas être contemporain, il est intemporel »
Par  Eugénie Bastié (octobre 2017)

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN.- Le peintre français Pascal Vinardel qui expose avec d’autres artistes dans l’exposition «Présence de la peinture en France» revient sur sa vision de la peinture. Il se dresse contre le «ricanement» de l’art contemporain et promeut un artisanat au service de la beauté du monde.

Jusqu’au 30 octobre 2017, la mairie du Ve arrondissement de Paris organise, sous la houlette de l’académicien Marc Fumaroli, une exposition intitulée «Présence de la peinture en France» (1974-2016). Elle présente des œuvres de dix artistes mettant à l’honneur la peinture, la gravure, le dessin et la sculpture.
Pascal Vinardel expose également à la galerie Francis Barlier (36, rue de Penthièvre 75008 Paris) du 5 octobre au 15 novembre 2017

FIGAROVOX. Vous faites partie des peintres exposés à la mairie du 5ème dans l’exposition «Peinture en France». Quel est le sens de cette exposition ? Est-ce un acte de résistance à l’art dit contemporain?

Pascal VINARDEL.- Il y a peu de points communs entre nos peintures, sauf peut-être que nous menons notre tâche dans une tranquille indifférence à l’époque. Nous ne sommes pas des résistants, nous ne nous battons pas dans le Vercors à coup de mitraillettes. Pour résister, encore faut-il avoir un ennemi, et je refuse d’accorder cette dignité à ce qu’on appelle aujourd’hui l’art contemporain. Ce phénomène n’est pas digne d’être combattu. Je rappelle ce propos de mon regretté ami Jaime Semprun : « Quand c’est contemporain, ce n’est pas de l’art, quand c’est de l’art, ce n’est pas contemporain ». L’art est intemporel.

FIGAROVOX. Ce week-end se tient la Foire internationale de l’Art contemporain à Paris (FIAC) Que pensez-vous de cette manifestation?

Pascal VINARDEL.Ce n’est que la prise de température de l’état de prospérité financière des galeries dans le monde. Cela n’a strictement aucun intérêt sur le plan esthétique. Comme le disait encore Semprun : « Ce qui porte le nom d’art contemporain est un composé de publicité, de finance spéculative et de bureaucratie culturelle ».

FIGAROVOX. Il semble en effet qu’il y ait au sujet de l’art contemporain une alliance entre le marché et l’état, qui subventionne ce type d’œuvre…

Pascal VINARDEL.Si on peut appeler œuvres de simples produits financiers. Cette terrible collusion disqualifie toute forme d’art qui ne se plie pas aux lois de ce marché. Si aujourd’hui Rimbaud frappait à la porte de la rue de Valois, il serait jeté comme un malpropre. Nous sommes loin de cette dame qui se levait dans l’omnibus pour laisser sa place à un clochard qui s’appelait Verlaine, mais que tout le monde connaissait et respectait. Nous avons en France deux dizaines de milliers de fonctionnaires de la culture formés sur concours à cette funeste idéologie. Et qui nous disent que la France est en retard, par rapport au marché américain ! La France de Corot, de Poussin, de Debussy, de Proust se couche devant la production américaine… Ces mêmes Américains hélas qui ont été les mécènes des plus grands artistes français du XIX ème siècle et de la première moitié du XXème siècle. Je suis frappé par cet exercice typiquement français qui consiste à avoir honte de soi. La plupart des expositions d’ « art contemporain » sont grotesques et ennuyeuses : on y entend souvent le ricanement de l’ignorant qui se moque de quelque chose qui le dépasse. Il ne faut pas juger ces productions d’un point de vue esthétique, car ces pseudo artistes savent très bien que ce qu’ils font est répugnant, c’est délibéré. Nous en sommes aujourd’hui à des expositions interdites aux enfants… Depuis 40.000 ans, aucune forme d’art n’a été interdite à la moindre petite fille. Je ne veux pas qu’on me présente comme de l’art quelque chose que les enfants ne peuvent pas regarder.

FIGAROVOX. Comment expliquez-vous que la déstructuration de tout cadre et de tout critère soit allée beaucoup plus loin en peinture qu’en musique et en littérature ?

Pascal VINARDEL.La peinture pose aujourd’hui un problème qui n’existe pas en musique ni en littérature, où il y a immédiatement une grammaire reconnaissable. Le pianiste qui ne sait pas jouer ou l’écrivain qui ne sait pas écrire sont plus facilement identifiables que le peintre qui ne sait pas peindre. Cette destruction de la grammaire picturale a environ une centaine d’années. C’est de l’ordre du fétichisme et de la naïveté que de croire que la peinture a un pouvoir en soi. La peinture n’a jamais été qu’un moyen. C’est parce qu’elle a été moyen, qu’elle a donné les plus belles choses. Un moyen au service de la « présentation » du monde plutôt que de sa représentation. Depuis la grotte de Lascaux jusqu’à Matisse, Morandi, peut-être Balthus. Du vivant de Matisse, qui a été le dernier gardien intellectuel de son métier, il ne pouvait pas y avoir d’art contemporain. Quand le menuisier, au lieu de faire une table, rabote sa planche de travail, se penche sur la beauté des nœuds du bois et la caresse, il n’est plus menuisier. Les peintres sont tombés dans leur propre objet, qui est devenu une sorte de monstre proliférant. C’est sans fin. À partir du moment où le corps se décompose, il génère une multitude d’égarements possibles.

FIGAROVOX. Quand situez-vous le basculement ?

Pascal VINARDEL.Je pense que c’est lié aux grands conflits mondiaux. Mais on assiste à un début de décadence à la fin du XIXème siècle, lié à une des plaies de l’histoire de la peinture : le romantisme. Le romantisme va accorder au peintre, ou plutôt à « l’artiste » tous les droits : il devient son propre ange. Quoi qu’il fasse, son œuvre est sanctifiée par sa signature, son moi intouchable. Il y a des chefs-d’œuvre qui ne sont pas signés : ils datent du Moyen-Âge. Après, la splendeur de l’anonymat, ce don parfait, a disparu. Mais avec le romantisme, l’artiste devient carrément plus important que son œuvre. Pourtant, en cette même fin du XIXème siècle, il se passe cependant en France une sorte de répit magnifique, une prise de conscience qui revigore la peinture : l’impressionnisme. Ce mot ridicule désigne cependant une découverte très importante, initiée par Jean-Baptiste Corot, qui, en regardant les paysages italiens, s’aperçoit qu’à chaque sensation de lumière correspond une coloration. Jusqu’à Corot, la couleur du peintre est conventionnelle : le manteau de la Vierge est bleu, la terre est brune, les arbres sont verts, les nuages blancs. Poussin a fait des merveilles avec cette convention. Mais Corot découvre que l’arbre et le ciel changent de ton en fonction de la lumière, que les ombres elles-mêmes sont colorées. Il découvre la sensation de luminosité du monde qui bouleverse les objets. Il crée une nouvelle palette. Une palette de vérité. C’est un coup de pied au fond du bassin qui donne un nouveau rebond à l’art français. C’est une vitalité typiquement française, et dont nous ressentons encore les effets aujourd’hui, ce qui nous permet peut-être de conserver des poches de résistance par rapport à d’autres pays. L’impressionnisme, ce n’est pas un énième maniérisme, une mode, une idéologie de la couleur pure, c’est un trésor, et c’est typiquement français.

FIGAROVOX. Quel est selon vous le propre de l’art français ?

Pascal VINARDEL.Le mot le plus important, c’est celui de «pudeur». Pudeur, et peut-être sensualité : la gourmandise maintenue par l’élégance. Mais aussi une forme de rationalité, que les peuples scandinaves et anglo-saxons ne peuvent pas comprendre. La mesure également, et sans doute, le goût, mais le goût, selon la définition de Montesquieu : « le goût n’est autre chose que l’avantage de découvrir avec finesse et avec promptitude la mesure du plaisir que chaque chose doit donner aux hommes ». Ce goût, c’est le goût du lièvre, qui ne se trompe pas de champignon et ne meurt donc pas. Celui qui n’a pas de goût meurt, il se trompe. « Tous les goûts sont dans la nature » est une des phrases les plus sottes qui soient. Le « bon goût » également, qui n’est qu’une codification. Le vrai goût est une boussole, un instinct.

FIGAROVOX. Le goût est-il universel ?

Pascal VINARDEL.Bien sûr. Je pleure en écoutant des chants pygmées, j’admire des estampes japonaises du XVIIIe siècle, je suis fasciné par l’échine merveilleusement vivante d’un aurochs de 40.000 ans. L’art, c’est l’instinct. Ce sentiment du goût, nous le partageons avec les animaux. Le chat ne se trompe pas quand il bondit.

FIGAROVOX. L’art doit-il forcément être en lien avec la beauté ?

Pascal VINARDEL.La beauté d’un objet ne lui appartient pas forcément. Un objet beau dit autre chose que lui-même, il est investi de quelque chose qui le dépasse. Il me semble que cette énigme de la beauté recèle forcément une dimension morale. Une scène sanglante peut être belle. Pourquoi la peste d’Asdod de Poussin est-elle belle ? Elle obéit très rigoureusement à des canons, mais aussi, elle a un sens. Je crois que ce qui est beau a un sens. Le trône de la beauté est vide. Nous ne possédons pas la beauté, elle nous possède.

FIGAROVOX. Comment peignez-vous ?

Pascal VINARDEL.J’emploie des moyens mis au point par mes ancêtres, je suis comme le forgeron qui reprend les tenailles de ses pères. La toile, les brosses, les tubes. Mon originalité, si j’ose dire, c’est que mes croquis sont des notes écrites. J’écris avant de peindre. J’épargne à mes lecteurs des milliers de pages, pour essayer d’en faire une qui condense une histoire vaste comme l’histoire du monde, celle que nous portons au fond de nous-mêmes, et que font affleurer nos souvenirs et nos rêves.