LE GRAND DÉTOUR

C’est la braise bleue du soir, son incandescence. C’est l’heure où vient de disparaître le soleil pour laisser derrière lui un grand ciel vide.

L’heure où les arbres bruissent d’oiseaux, où les fenêtres s’ouvrent à la brise de la nuit proche qui remonte des collines. C’est une grande rue de faubourg encore tiède de la journée disparue, et qui mène probablement à la ville du bas.

Façades de petits palais ordinaires, enceintes de jardins, villas délabrées, rideaux de fer, linge aux fenêtres, poteaux électriques.

C’est l’acte dernier du jour.À rebours de l’ordre théâtral, côté jardin, la nuit est déjà remontée le long des branchages. Un néon vert éclaire

une porte béante. Côté cour, les dernières lueurs du jour caressent le haut des immeubles et flambent dans les vitres. Un petit lampadaire veille sur une échoppe fermée.

Cela peut commencer. Au centre, un cycliste raye le morceau de ciel d’une flaque ; il s’éloigne de nous parmi les silhouettes de passants fantomatiques, ivre de cette somptuosité vacante de la lumière et de l’idée qu’il y a, en gisement dans ce monde décrit, la possibilité d’être pauvre et heureux.

C’est un quartier que l’on ne connaissait pas, ou qu’on avait oublié, et que le crépuscule transfigure. C’est peut-être aussi un endroit par lequel on n’est plus passé depuis longtemps.

Mais c’est aussi, et plus exactement, la manière dont réapparaissent les lieux que notre mémoire revisite et qu’elle retrouve intacts comme ces boîtes qui ont fini de rouiller au fond d’un bassin.

Pascal Vinardel

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