LES FIGURANTS

C’est le dernier regard que l’on porte sur une ville que l’on quitte, comme le dernier visage que l’on emporte d’elle. Ce sont, imprimées sur la rétine, les scènes et les bribes de vie qu’on laisse derrière soi. Un déroulement au ralenti où celui qui s’en va suit des yeux un passant dont il ne saura jamais rien, parce qu’il aura bientôt passé le coin.

Ce sont ces quartiers, toujours les mêmes, que l’on a tant de fois traversés sans s’y arrêter, dont on ne connaît que la configuration fuyante, à la fois familière et inconnue, et dont on se dit qu’il faudra bien qu’un jour on pousse leur porte mystérieuse…

C’est aussi le temps des villégiatures, le temps des beaux jours revenus où l’on « plie bagage », où, dans les appartements qu’on va clore, on a roulé les tapis, recouvert les meubles et barré les persiennes. La rue que l’on découvre alors dans sa poussière, les arbres avec le piaillement de leurs moineaux, les passants, les magasins, tout est transmué par le départ. On a déjà en pensée quitté les lieux car dans une heure nous en serons les absents ; et déjà se superposent les images des routes encore lointaines, des bosquets que l’on traversera à la fraîche, des étapes et des journées ailleurs. La ville où nous sommes encore semble alors se figer pour nous offrir miraculeusement et pour un court et douloureux instant sa physionomie inconnaissable : celle qu’elle prend quand nous ne sommes plus là.

Pascal Vinardel

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